Lettre 001
11 avril 2021
Mes très chers démons,
J’ai longtemps essayé de vous vaincre, faisant de ma vie une lutte acharnée pour tenter de mener celle que la société si malveillante avait tracée pour moi. Puis, j’ai eu trente ans et lasse de vivre retranchée, pansant les blessures de mon âme en attendant un nouvel assaut de votre part, j’ai traversé le no man’s land en agitant un mouchoir en papier blanc. (J’ai fait avec les moyens du bord.) Je vous ai vu échanger des regards intrigués, puis vous êtes venus à moi, et nous avons signé un traité de paix.
Depuis, mon quotidien a pris une toute autre tournure. Nous ne sommes pas devenus amis pour autant, mais avoir remplacé notre animosité par une entente cordiale, c’est tout de même plus agréable pour tout le monde. Cependant, forte de toute cette énergie que je n’avais plus à dépenser sur le champ de bataille, je suis partie bille en tête et j’ai quelque peu ignoré votre présence. Vous vous nourrissez de mes peurs, de mes croyances, de mes frustrations, de mes erreurs, de ma colère, de ma peine, de ma lassitude. La situation actuelle est un engrais putride qui vous engraisse. En ce début d’année, nous étions tous gonflés à bloc et lorsque nos ambitions contraires se sont trouvées à l’étroit, la hache de guerre a été déterrée.
Les blessures de l’esprit ont cette traitrise de faire souffrir le corps sans y laisser de traces visibles. Le combat a été violent, je ne m’y attendais pas, j’avais pleinement goûté au confort de notre trêve. Je ne suis pas dupe, je peux salement vous amocher, mais je ne peux point vous terrasser, parce que vous êtes tout simplement une part de moi. Pas la plus belle, pas la plus noble, la moins lumineuse, la moins aimable, mais sans vous, je ne suis plus tout à fait moi-même, car je suis née humaine. J’ai donc miné tout le terrain, et vous avez alors compris que ce n’était pas vous ou moi, mais pour le temps qui nous a été, nous est et nous sera donné, c’est vous et moi. C’est encore frais, mais c’est la meilleure chose que nous avions à faire que d’enterrer à nouveau cette putain de hache de guerre.
Mes chers démons, nous en sommes encore au temps de l’apprentissage, comme dans un couple, nous devons faire des concessions. Il y a eu, il y a et il y aura parfois des ratés, mais les erreurs comptent moins que le soin que nous prenons à faire de notre mieux pour les réparer. Il y aura des jours bleus, où vous prendrez le dessus, me faisant crier, pleurer, me nourrir quasi exclusivement de produits gras et sucrés, marcher sur des kilomètres, puis m’effondrer sur le canapé, terrassée par la douleur et l’épuisement.
Cependant, il y a aura bien plus souvent des jours solaires, où je prendrai l’avantage, mes sourires seront francs et mes yeux malicieux. Mon esprit sera fécond et mes doigts se déformeront un peu plus à gratter le papier. Je cuisinerai des légumes frais et colorés pour de grandes tablées. J’accueillerai les petits bonheurs comme des bénédictions. Mais je vous laisserai un peu d’espace, afin que vous puissiez vous exprimer. Car ce n’est que dans le partage, que chacun pourra trouver sa place.
Certains liront dans cette lettre un aveu de faiblesse, alors que c’est tout le contraire. Reconnaitre et accepter sa part d’ombre, ce n’est pas ne plus avoir peur du noir, c’est apprivoiser l’obscurité, nuance. Se connaître jusque dans ses pires travers et être capable de ne plus les cacher, c’est faire preuve d’une grande force. Les gens réellement heureux n’ont pas besoin de rabâcher à tout va qu’ils le sont. User d’artifices pour le prouver, c’est porter le masque de Superficiel, l’anti héros par excellence. Ce n’est pas en refoulant le malheur que l’on laisse le champ libre au bonheur.
Mes très chers démons, je vous remercie de me rappeler que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. A présent, je sais qu’après toutes les nuits, même les plus longues, le soleil finira toujours par se lever.
Soyez sages… mais pas trop…
Crédit photo : PublicDomainPictures sur Pixabay.