Lettre 002
14 avril 2021
Cher Monsieur Benz,
A plusieurs reprises, dans mes lettres, j’ai raconté des anecdotes concernant votre fabuleuse invention, la fameuse voiture sous sa forme moderne, celle dotée d’un moteur à explosion. Plus j’écris et plus il me faut creuser dans ma mémoire d’éléphant afin d’y retrouver des souvenirs croustillants. Sauf que dernièrement, un alarmant constat s’est imposé à moi, en ce qui concerne les rapports qu’entretient ma famille avec le monde de l’automobile.
L’anecdote que je vais vous livrer Monsieur Benz, m’est soudainement revenue à l’esprit il y a quelques semaines. Dans ma famille, nous sommes doués pour la débrouille, mais rétroactivement je me demande si parfois nous n’avons pas poussé le bouchon un peu trop loin.
Lorsque j’étais enfant, ma mère possédait une Renault Clio 1 NRJ, comme la station de radio. Ca faisait « d’jeuns » et « chébran » dans les années 90. Un jour, elle a commencé à avoir des problèmes de démarrage, la voiture pas ma mère. Je suis vraiment nulle en mécanique, donc par pitié Monsieur Benz ne me demandez pas de vous donner la cause exacte de la panne. C’était une histoire de charbons collés et de démarreur. Bref, mes parents, à défaut d’apporter la voiture au garage, ont trouvé une méthode très efficace, la méthode B (comme Brute).
J’en viens donc à ce fameux souvenir. Ma mère nous avait embarquées, mes sœurs et moi, pour faire quelques courses au supermarché le plus proche. Mais au moment de rentrer à la maison, l’auto n’a pas voulu démarrer. C’était sans compter sur la méthode B. La matriarche a donc récupéré ses outils dans le coffre, à savoir un pied de biche et une masse, elle a ouvert le capot et a commencé à frapper à grands coups sur la pièce défectueuse. Vu ce qu’elle leur a mis sur la gueule, les charbons ne devaient pas faire les fiers. A l’époque, ma mère aurait pu être recrutée par les Avengers, avec sa masse, elle aurait fait un Thor du tonnerre.
Monsieur Benz, je ne sais pas ce qui a décidé mes parents, mais ils ont fini par faire réparer la Clio par un garagiste diplômé. Peut-être que ma mémoire me fait un peu défaut et que je n’ai pas enregistré une éventuelle visite d’une assistante sociale envoyée par les services de la DDASS. En tous cas, c’était la belle époque, celle où les téléphones portables servaient seulement à ce pour quoi ils ont été conçus, c’est-à-dire téléphoner. A la veille du vingt-et-unième siècle, sur ce parking, pas une âme charitable ne s’est approchée pour venir en aide à cette femme en galère avec ses trois enfants. De nos jours, les badauds armés du dernier IPhone, acheté avec la prime de rentrée scolaire, seraient légion. Remarquez Monsieur Benz, je suis sûre que sur YouTube, on aurait fait plus de vues que Psy et son « Gangnam Style ». Avec les royalties, mes parents auraient eu les moyens de changer de voiture.
Malheureusement, quelques mois plus tard… Alors que nous circulions en ville avec ma mère, dans la Renault remise en forme, un conducteur à l’haleine senteur Côtes-du-Rhône, Bourgogne, liqueur de châtaigne, remets-moi la petite sœur cul sec, a transformé la Clio en épave. J’ai trouvé ce moment où la voiture est passée de totalement sur la route à totalement sur le bas-côté très impressionnant.
Plus de peur que de mal, et c’est bien là le principal. Ouais, enfin… ça fait un peu suer de se retrouver à pied quand même. C’est même un tantinet gonflant quand l’assurance rembourse juste de quoi s’acheter un tricycle d’occasion, because la cote argus. Ca fait carrément chier d’entendre l’autre chauffard maintenir aux policiers que c’est lui la victime, alors qu’il a plus de gamma GT que de globules rouges dans le sang.
Cher Monsieur Benz, ne croyez pas vous débarrasser de moi si facilement, il faudra que je vous parle de la fois où je suis tombée dans une tranchée, en voiture évidemment. A ce stade de malchance, je crois que l’on appelle cela du talent.
En voiture Simone… enfin Carl
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