Lettre 004
21 avril 2021
Cher sage,
Tu sais que les gens prennent tout ce que tu dis pour parole d’évangile. Je trouve d’ailleurs que tu en joues beaucoup, parfois même trop. Ecrire de grandes phrases c’est donné aux dompteurs de mots, les réciter c’est l’apanage des orateurs, mais les mettre en pratique c’est réservé aux courageux.
Elle ose s’en prendre au sage. Quelle audace ! Quelle folie ! Mais après tout, pourquoi pas… Dans les temps anciens, toi et tes compères, vous étiez montrés en exemple et avec le temps, nous vous avons érigés sur un piédestal. Et elle est là ton erreur, d’avoir accepté de monter dessus. Rappelle-toi que tous les grands dictateurs ont aussi eu un monument à leur gloire. Il n’y a donc pas forcément quoi que ce soit de noble à ce que l’on coule un bronze à notre effigie.
Tes maximes, j’en connais plus que de raison et j’ai tendance à les citer à tout-va. En général, s’ensuit une irrépressible envie de me gifler. Te rends-tu compte que c’est un non-sens de prôner l’humilité et la pondération tout en assénant des messages sous forme de vérité universelle.
Alors je le concède, parfois tu vises juste. A l’adage : « Quand on s’endort avec le cul qui gratte, on se réveille avec les doigts qui puent. », je ne peux que reconnaître que l’on sent l’expérience qui parle. Mais lorsque tu dis : « Tout vient à point à qui sait attendre. », certes la faucheuse viendra tous nous cueillir, tu ne t’es pas trop foulé pour celle-là. Cependant, en ce qui me concerne, si j’attends quelque chose, je prie sainte Patience, je ronge tous les freins que je trouve… mais en général, c’est surtout mûre à point que je finis.
Celui qui rend pas mal de gens fous, c’est ton fameux : « L’argent ne fait pas le bonheur ». Tu veux que je t’organise un micro-trottoir devant Les Restos du Cœur ?! Puis après, on ira visiter le service des grands brûlés et tu leur diras : « Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ». Tu sais qu’un jour, tu vas avoir des problèmes à force de donner ton avis. Faut pas hésiter à tourner ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler. Puis si ça ne suffit pas, tu recommences dans l’autres sens. A force de brasser du vent, tu feras bien tourner des éoliennes.
Je sais que je suis en train de m’attirer les foudres du peuple, parce que j’ose toucher au sage. Mais qui es-tu pour estimer que tu connais mieux les choses de la vie que le reste du commun des mortels ? Evidemment que demain il fera jour, mais ce n’est pas à toi que l’on doit cette information, rends à Galileo ce qui est à Galileo. Tu te veux proche de nous, mais tu te positionnes tel un dieu.
Tu vas me répondre que je dois changer ma façon de penser, que le positif attire le positif. Ce à quoi je te rétorquerai sans sourciller qu’il serait temps que tu sortes un peu de ta grotte. L’humanité retombe dans ses plus mauvais travers et ce n’est pas toutes tes paroles bien-pensantes qui changeront quelque chose. Agis, toi qui es omniscient, toi qui te places en guide, toi qui as tant vécu. Passe devant et n’hésite pas à te fendre d’un tonitruant : « Qui m’aime me suive ! »
Que murmures-tu ? « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Mon vieil ami, nous sommes d’accord. Pourquoi chercher à toujours être raisonnable, prononcer des paroles mesurées, utiliser seulement des mots justes, demander pardon lorsqu’on n’est pas coupable, sourire alors que notre cœur saigne…
Cher sage, je suis peut-être l’idiote qui regarde le doigt là où tu me montres la lune. Mais si tes maximes avaient justement pour but de nous apprendre à nous en affranchir, à voir plus loin, à développer notre propre esprit critique, à rendre plus accessible au commun des mortels la sagesse. Parce qu’après tout, n’est-ce pas toi qui a guidé la main d’Antoine de Saint-Exupéry lorsqu’il a écrit : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
A plus le sage et « que la force soit avec toi ! »
Crédit photo : Georgi Dyulgerov sur Pixabay.