Lettre 013
20 juin 2021
Mon cher papa,
Je sais que l’on ne lave pas son linge sale en public, donc j’imagine qu’on n’étend pas non plus le propre aux yeux du monde. Mais il me semble que personne n’a reproché à Lynda Lemay de chanter à tue-tête que le plus fort c’est son père. Il y a certains mots que je ne sais pas prononcer malgré le fait que je sois plus bavarde qu’une pie bourrée. Alors aujourd’hui, jour de ta fête, je t’écris ces quelques mots pour te dire…
Que si je ne réussis pas toujours à glisser mon regard dans le tien, c’est que c’est parfois effrayant de se regarder dans un miroir. Nous sommes pareils et à l’image des aimants, parfois nos polarités nous éloignent un peu. Ce fut surtout le cas durant mon adolescence. Cependant nous avons aussi des points communs.
Tu m’as initiée à l’art de la bande dessinée. De ce fait, lorsque tu as envisagé de vendre ta collection, car tu ne peux plus la lire, c’est une partie de mon enfance et de mon adolescence qui se sont mises à pleurer. J’ai failli signer l’arrêt de mort de mon LEP pour les récupérer, avant que tu ne changes d’avis et que ma jeunesse ne gagne un sursis. Un jour, enfin plutôt une nuit, je viendrai te les piquer dans ton sommeil. Tu ronfles si fort que cela couvrira mon forfait.
Par contre pour la ressemblance physique, tu n’étais pas obligé de me refiler ton nez. Le truc c’est le canal de Suez. Pour les sinus n’en parlons pas, c’est celui de Panama avec l’Ever Given qui se met sans arrêt en travers à l’intérieur. Cependant que je l’aime cette chevelure brune, rappel de nos origines méditerranéennes. Ces dernières qui ont en partie forgé notre caractère bien trempé, car il est bien connu que les gens du sud ont le sang chaud et l’accent qui chante.
Mon petit papa, lorsque j’étais enfant, tu ne comptais pas tes heures au travail. Tu voulais que tes filles et ton épouse ne manquent de rien. Je sais que tu crois avoir échoué dans cette tache mais tu ignores combien tu fais erreur. Nous avons toujours eu un toit sur la tête, à manger dans notre assiette, de l’amour à en crever étouffé, des vêtements chauds l’hiver et légers l’été, assez de jouets pour vivre les plus belles aventures. Alors certes je n’ai jamais chaussé un ski et la mer nous n’y allions qu’une journée tous les deux ou trois ans. Et alors ? Rassure toi, la plage je ne l’aime que déserte, lorsque mon regard peut se perdre à l’horizon et que seul le rire des mouettes vient résonner à mes oreilles.
Papa, contrairement à ce que tu imagines, je suis riche… de toutes les valeurs transmises, de l’amour que tu me portes depuis tant d’années, des livres que tu m’as laissé lire, parfois contre l’avis de maman (Surtout ne parlons pas des films !), de t’avoir dans ma vie. Je n’ai pas besoin d’un château en Espagne, car Claudio Capéo l’a si bien dit : « A quoi ça sert d’être riche, quand on est riche d’un père. »
La vie est ainsi faite qu’un jour, tes jeux de mots tirés par les cheveux ne seront plus qu’un souvenir dont les larmes de rire auront un goût doux-amer. Tu peux laisser la maison à mes sœurs, je n’en ai que faire. D’héritage, je ne veux que tes bandes dessinées et les cahiers que tu as noircis durant ta jeunesse. Au fil des pages, je te retrouverai toujours…
Mon cher papa, toi qui es si discret et qui respectes l’adage pour vivre heureux, vivons cachés, j’espère que tu ne seras pas fâché par cette lettre. Car sinon tu vas devenir tout rouge et péter. (Je n’ai pas oublié qu’au lieu de nous faire peur cette expression nous faisait rire.) J’estime que tu ne pourras pas m’en vouloir de profiter de cette missive pour te dire combien je t’aime papa.
P.S. : Au fait… bonne fête, hein !
Daniela Dimitrova sur Pixabay.