« Partir ou revenir » (2/2)

Suite et fin. ( La première partie est disponible dans la catégorie « Nouvelles, poèmes et fantaisies ». )

« Maman, bonjour ! »

Joignant le geste à la parole, la sage femme pose un bébé tout chaud sur mon ventre nu. Je pose des mains tremblantes sur ce petit être qui cesse aussitôt de crier pour plonger son premier regard dans le mien, complètement troublé. C’est mon bébé ? C’est mon bébé ! Comment est-ce possible ? J’ai donné la vie ! Mon fils ! Je suis maman ! L’incrédulité est rapidement balayée par une vague d’amour incommensurable pour cet enfant que j’ai tellement attendu, dont j’ai tellement rêvé. J’éclate en sanglot, des spasmes incontrôlables agitent mon corps. Un baiser déposé sur mon front, je tourne la tête, il est là. Les yeux rougis et brillants, un sourire béat. Je suis la plus heureuse des femmes. Ma vie vient de prendre un tournant décisif. C’est la première fois que je ressens ça. A partir de cet instant, je sais que je suis prête à tout sacrifier pour quelqu’un, à laisser ma vie pour lui… mon fils… Gabryel.

Je reporte mes yeux sur…

***

… le néant ! Un hurlement bestial me tord de douleur. Cette dernière revient dans la moindre parcelle de mon corps et de mon âme. Je lutte pour lui échapper. Si j’ignore ce que je fais ici, je me souviens de tout le reste ou presque. Chaque souvenir me frappe avec violence. Tout s’entrechoque sans suite logique : mariage, enfance, Gabryel, parents, école, frère, hiver, amis, permis de conduire, dispute, réveillon, deuil, été, études, amour, sœurs, mari, fêtes, grossesse, alcool, anniversaire, hôpital, rencontre… Je suis prise dans un tourbillon de sons, d’images, de sensations. Je suis en apnée et perds pied. Le néant se déchire et me brise dans l’espoir que je lui cède. Je ferme les yeux et dans un dernier élan, concentre le peu d’énergie qu’il me reste afin de trouver le souvenir manquant, le seul, la clé.

***

  « Maman ! 

— Oui, mon chéri ? » Je jette un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur et aperçois le visage de Gabryel qui n’a jamais été aussi grave.

« Maman, il faut que tu m’écoutes bien. »

Son aplomb me surprend.

« Mais… 

— C’est très important ! Tu entends ?! Très important ! Tu dois bien m’écouter et retenir ce que je vais te dire. »

Comment un petit garçon de 5 ans à peine peut-il tenir un tel discours ? C’est bien sa voix, mais ce ne sont pas ses mots…

« Oui, c’est d’accord ! Je t’écoute ! mon inquiétude s’accroît.

— Maman… on va avoir un accident. On va croiser un camion dans environ un kilomètre. Le chauffeur envoie un texto à sa femme. Sans s’en rendre compte, il va se déporter sur notre voie. Tu ne pourras pas faire un écart sur ta droite sans faucher la cycliste. » Son flux de parole augmente au fur et à mesure, autant que sa panique. Sa voix se charge de sanglots.

« Tu vas vouloir me sauver, maman, sans sacrifier la dame. Tu donneras un grand coup de volant à gauche et la voiture fera des tonneaux. L’avant va s’encastrer dans un arbre. »

Il se calme. Des larmes coulent sur mes joues. Alors c’est donc ça… J’essaye de ne pas laisser paraître mon trouble.

« On va mourir mon chéri ?

— Non maman, enfin… pas moi. »

Je suffoque, je suis morte et c’est mon propre fils qui me l’annonce.

« Non maman, tu n’es pas morte, pas encore. Les médecins ont expliqué à papa que maintenant c’était à toi de te battre pour revenir parmi nous. Il faut que tu sois forte. Tu dois te réveiller. 

— Tu n’es pas réellement là n’est-ce pas ? » J’agrippe plus fermement le volant, j’approche de la cycliste.

«  Non ! Ton cerveau est en train de modifier un de tes souvenirs. C’est une stimulation pour activer ton instinct de survie. »

Le camion se déporte lentement.

« Je reviendrai ! Tu m’entends Gabryel ? Je reviendrai ! »

Tout se déroule comme prévu. Il pousse un hurlement déchirant. L’arbre est là, je ferme les yeux un instant avant l’impact, sachant très bien où je vais les rouvrir…

***

« STOP ! Je ne sais pas qui tu es, néant, limbes, purgatoire, peu m’importe ton nom. Je décide que j’ai le choix ! Je ne veux pas de ta chaleur, de ta douceur, de ton bonheur illusoire. Garde tes faveurs et abats sur moi ta fureur. Si c’est le seul moyen de retourner parmi les miens, alors soit, j’accepte tes sévices. Mais sache que si tu décides au contraire de tout faire pour me plaire, pense bien à m’envoyer en enfer, car seul cet endroit pourra contenir ma haine. Que veux-tu à la fin ? Vas-y, prends tous mes souvenirs, même les plus précieux, prends mes sens, mutile-moi, mais par pitié, laisse-moi retourner auprès de mon fils. » Je suis essoufflée tant j’ai hurlé sans m’interrompre. Tout se joue maintenant, je suis terrorisée. C’est alors que je me rends compte que dans ce brouhaha permanent, revient sans cesse la même phrase, tel un leitmotiv, un son infantile : « Reviens vite ma pitite maman de moi. ». Si seulement je savais comment faire.

Des bruits de pas résonnent derrière moi, je me retourne et suis frappée de stupeur. La personne qui me fait face n’est autre que moi-même, à l’âge de 10 ans. Mon alter ego me défi du regard, son ton est plein de reproches.

« Tu t’en prends à qui au juste ? 

— Je ne sais pas. Au… au néant ?!

— Aaaah ! A ton avis, tu te trouves où, en ce moment même ?

— Je ne sais pas bien. Au purgatoire ? »

— Si tu veux t’en sortir, il va falloir faire un minimum d’efforts. A croire que tous ces indices ne t’ont servi à rien. Je nous croyais un peu plus maligne. » soupire t’elle. 

Perdue, je garde le silence. Elle prend une profonde inspiration :

« Bien, je vais t’aider, cependant, si tu ne réussis pas à te dépêtrer de la situation, j’ai bien peur qu’à ton tour tu ne deviennes un souvenir. D’ailleurs, quel est le plus proche de l’instant présent dont tu te rappelles ?

— Ma conversation avec Gabryel, puis l’accident.

— Bien ! Es-tu décédée ?

— Non, je ne crois pas.

— Donc ?

— Je… je pense que… je pense que je dois être dans le coma. »

Elle m’offre un sourire.

« Si tu es dans le coma et que je suis un souvenir que tu modifies à ta guise, où sommes nous ? »

Cela ne peut pas être si simple… La surprise se peint sur tous les traits de mon visage.

« Dans mon esprit, dans ma tête !

— Alléluia ! Maintenant deux choix s’offrent à toi, pas de délai de réflexion. Une fois prise, toute décision sera irrévocable. D’un côté, la fin de toutes souffrances physiques et psychiques et la libération de ton âme pour l’éternité. De l’autre, la douleur, la peur, la peine, la souffrance que l’on peut endurer durant une vie humaine. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle tout compte fait ? »

Elle fait demi-tour et commence à s’éloigner.

« Attends ! Ca en vaut forcément la peine. Si ce n’est pour moi, pour quelqu’un d’autre. Ils m’attendent et même si j’ignore dans quel état est mon corps à cause de l’accident, leur bonheur fera le mien quoiqu’il arrive. Je suis prête à prendre le risque. Mon choix est fait, je rentre chez moi ! »

Lentement, elle se retourne et m’adresse un sourire en coin.

Tout s’efface. Une lumière vacillante apparaît, des voix chuchotent à mes oreilles. Petit à petit, deux têtes apparaissent dans mon champ de vision. J’esquisse un faible sourire et referme mes doigts sur les mains des hommes de ma vie. Entendre leurs voix est une renaissance.

« Maman, t’es reviendue ?

— Oui mon grand, ta maman est revenue. »

Crédit photo : Pixxl Teufel sur Pixabay.

Publié par melaniebonnotauteure

Auteure et chroniqueuse littéraire.

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