Lettre 008
19 décembre 2021
Cher Lutin des tracas ou Lu-Tintouin,
C’est la dernière ligne droite avant Noël. Si pour certains il s’agit de la trêve des confiseurs, ici cette ultime semaine de l’Avent signe le début des hostilités. Parce que personne n’arrive à se mettre d’accord à propos de la date, du plan de table, du repas et de l’ouverture des cadeaux. Afin de calmer mes nerfs, je m’empiffre de papillotes. Si ça continue, la robe qui attend sagement son heure sur un cintre m’ira tel un croc top. Y’aura plus qu’à déplumer les poules du proprio, et le Père Noël aura droit à une revue du Crazy Morse lorsqu’il viendra déposer ses joujoux aux pieds du tapin.
Je me fais enguirlander pour avoir terminé la boîte de sablés. Or, il me fallait au moins ça pour encaisser la nouvelle. Tu ne devineras jamais la meilleure, enfin la pire… Cette année, les cousins du Grand Est ont décidé de taper l’incruste… euh, de nous rendre visite. Sauf que la cousine Cendrine est enceinte. Comme elle est déjà végane et intolérante au gluten, par sécurité c’est elle qui décidera du menu. Nous allons donc sucer des glaçons durant quatre heures. Je ne vois vraiment pas pourquoi elle a peur pour le polichinelle qu’elle se trimballe dans le tiroir. Quand on connait le patrimoine génétique qu’il se traîne déjà le pauvre, sa mère ayant plus hérité de la quiche que de la lorraine, il n’est plus à une Listeria près.
A présent, c’est parti pour le choix de l’horaire de l’ouverture des cadeaux. Deux écoles s’affrontent. A ma gauche, les aficionados de tonton Jackie déguisé en Père Noël miteux, tripotant les enfants sur ses genoux le soir du réveillon. A ma droite, les partisans des tours de magie et de l’innocence préservée, prônant la découverte des présents au pied du sapin au matin du jour J. N’ayant pas sacrifié mon périnée à la grâce de l’enfantement, je ne possède point le droit de jeter de l’huile sur le feu. Je noie donc ma frustration dans quelques mugs de chocolat chaud, pendant que le totalitarisme parental opère. Je m’attaquerai aux mendiants lors de l’élaboration du plan de table. (Note à moi-même : acheter du citrate de bétaïne.)
Cher ambassadeur du tracas, j’estime que tout le paradoxe de cette fête réside dans le fait que chacun veut forcer les autres à la célébrer à sa façon. (Moi la première… ne vous gênez pas pour me jeter des sucres d’orge.) Alors que nous devrions être dans le partage et l’échange. Au lieu de ça, chaque année on assiste au concours de qui aura la plus grosse… dinde, évidemment. Moi je ferai le plus beau cadeau, moi j’aurai le plus grand sapin, moi je vais faire tourner les centrales thermiques du Kosovo à plein bloc avec une débauche de guirlandes électriques sur la façade de ma maison, moi, Moi, MOI !!! Parce que toi t’as pas offert, ni consommé local, parce que toi t’as osé tolérer le gavage des canards, parce que toi t’es forcément sectaire car tu te rends à la messe de minuit, parce que toi tu pollues avec ton papier cadeau recyclé et recyclable, toi, Toi, TOI !!! STOOOOOP !!! Je comprends mieux pourquoi le Père Noël ne passe que pour les enfants.
Cher Lu-Tintouin, chaque année c’est compliqué, chaque année rien ne se passe comme prévu, pourtant chaque année nous gardons seulement le meilleur de ces quelques jours hors du temps. Puis mine de rien, ça remplit mon carnet d’anecdotes. Tu ne vas peut-être pas me croire mais hier, alors que je me trouvais dans une épicerie fine, je suis tombée nez à nez avec un bocal de purée de topinambours. J’y ai vu un signe du tout puissant au bonnet rouge, je l’ai donc acheté illico pesto (Oui, c’est meilleur avec du basilic.). D’ailleurs je dois te laisser, il me faut me rendre au bureau de poste afin de déposer le colis. Je ne voudrais pas que La belle-grand-mère adorée, alias Le Diable s’habille en Damart, ne reçoive son présent avec du retard.
Des pichenettes amicales sur le grelot de ton bonnet.
A dans quelques jours !
Mél.
Crédit photo : Jill Wellington sur Pixabay.