Lettre 002
13 novembre 2022
Chère Mère Noël,
J’imagine que cela ne doit pas être une mince affaire de gérer toute la paperasse des habitants du Pôle Nord. Heureusement que tu ne vis pas en France, l’administration y est un casse-tête à s’en arracher les cheveux avant même de se faire des cheveux blancs. Les ampoules du pays des Lumières sont grillées, le savoir-faire à la française a disparu comme les Incas, puis les Mayas (ou vice Versailles) avant lui.
Maman de Noël, je t’assure que la fonction publique cumule plus de clichés que Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson réunis. Je peux en attester après presque huit années à y enchaîner les CDD. Comme tu dois t’en douter, avec la santé précaire de mon tendre époux, alias L’homme qui valait trois dinars, nous collectionnons les Cerfa, du vert au violet en passant par le marron, en trois exemplaires originaux, remplis et signés au Bic noir. À ce rythme, on n’est pas prêt d’avoir assez de bois pour reconstruire la charpente de Notre-Dame de Paris. Quasimodo va rester SDF un bon bout de temps.
Auteure que je suis, écrire ne me dérange pas, mais encore faut-il arriver à obtenir le formulaire adéquat. Et là… On commence par une partie de ping-pong, entre la CPAM, la MDPH, la CAF, Jean passe (Il va se chercher un café.)… et des meilleurs (enfin surtout des pires). Chacun se renvoie la balle, évidemment c’est Roland qui sert (le café).
Ensuite, ça se corse avec les horaires d’ouverture. Le lundi, ils se remettent du week-end, le vendredi, ils se préparent pour le week-end, le mercredi, c’est le jour des enfants, le mardi et le jeudi, c’est grève par intermittence. Parce que oui, ça dépend si l’on est en semaine paire ou impaire. Puis faut pas oublier les ponts des jours fériés, que dis-je les viaducs, qui commencent sérieusement à concurrencer celui de Millau.
Après, il faut trouver Charlie (Ben non, il n’est pas à la machine à café, ce serait trop facile.). Pour Martine*, il est en congé, pour Kevin*, il est en RTT, pour Tatiana*, il est en pause clope, et pour Zorba*, il est en arrêt maladie pour un pré burn-out. (Un quoi ?) Un pré burn-out, puis un burn-out, suivi d’un post burn-out. Restriction budgétaire oblige, il ne sera pas remplacé, donc meuhdame rappelez dans six mois. (*Les prénoms ont été changés afin de préserver l’anonymat des protagonistes.) (Celui qui a la référence pour les prénoms, il est vachement fort.)
Chère Mère Noël, j’imagine les lutins se rouler par terre face à mon imagination débordante. Préservons leur innocence… Quand on sait que les nouveaux locaux d’une MDPH (Maison Départementale pour les PERSONNES HANDICAPEES) ont été livrés sans rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite, on se rend compte que mémé a été poussée dans les orties, et qu’elle est loin d’avoir le cul sorti des ronces. Si le cerveau de certains pédale dans la semoule, j’imagine bien celui de l’architecte le faire dans du houmous, et celui du maître d’ouvrage dans du guacamole. Ne sortez pas de pain toasté, je pourrais finir cannibale.
Tu devrais voir mon bureau, Cerfa K 2000 pour la MDPH, Cerfa R2-D2 pour la CAF, Cerfa CAC 40 pour la CPAM… J’ai l’impression de jouer à « Des chiffres et des lettres ». Toute cette paperasse est tellement compliquée à déchiffrer que dans un élan de désespoir j’ai envoyé Le manchot di congelo acheter une pierre de Rosette. Il est rentré une heure plus tard, tout fier de lui, avec un caillou dans une aile et deux Cochonou sous l’autre. Je l’aime ce manchot, mais faut avouer qu’il n’a pas inventé le fer à défriser le persil.
Chère Mère Noël, parfois je m’imagine partir pour le Listenbourg. Dans un pays où l’on écoute, cela doit forcément tourner plus rond que dans un hexagone.
De gros câlins contre ton cœur, et des baisers papillons aux lutins.
Mél.
Crédit photo : Alexa sur Pixabay.