Lettre 013
22 novembre 2020
Cher Père Noël,
Rendons à César… Ma famille souhaite que je parle des repas de Noël que nous partageons tous les ans. Ils ne vont pas être déçus ! Parce qu’il y en a un qui a été particulièrement gratiné. Si ça a commencé en repas de Noël digne d’un téléfilm de TMC, cela s’est terminé en réunion des alcooliques anonymes totalement foirée.
Il est de tradition, au cours du gargantuesque repas qui dure huit heures et voit défiler une douzaine de plats, – on se croirait dans Hansel & Gretel – de faire une pause digestive avec un trou normand. C’est un trou, que dis-je, c’est un gouffre ! Et il n’a de normand que le nom. Car le combo vodka – sorbet citron, c’est plutôt Russe. Prétentieux que nous sommes !
Comme lors d’une raclette, il reste à un du sorbet, à l’autre de la vodka… on refait donc les niveaux. Malheureux ! Ce serait gâcher que de ne pas respecter les proportions.
Ce jour-là, en l’an de grâce, que j’ai oublié car nous étions ronds comme une queue de pelle, un convive a suggéré que l’on fasse un trou normand après chaque plat. Y’en a toujours un pour avoir une idée à la con ! Suggestion approuvée à l’unanimité. Y’en a toujours d’autres pour être plus cons que celui qui a eu l’idée… C’est ainsi qu’au bout du cinquième, ne sachant plus compter j’ai décrété que tous les suivants seraient le cinquième aussi, mon foie a demandé le divorce. Quel lâcheur !
Après deux bouteilles de vodka, nous étions plus imbibés que le baba au rhum de ma mère, ou devrais-je dire plus imbibés que son célèbre rhum au baba. Le gâteau ressemble tellement a une éponge détrempée que je ne serais pas étonnée de voir un jour débarquer le hérisson Spontex venant réclamer son dû.
Mais revenons-en au fond du trou (et creuse encore). A cette époque, les éthylotests étaient obligatoires dans les voitures. Nous avons donc eu envie d’en tester un. As-tu déjà essayé de gonfler un ballon en étant à trois grammes ?! Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est passé par toutes les couleurs, mais a indiqué que la personne était sobre. Hérésie ! Nous avons donc décidé de le faire tourner, tel un pétard, à toute la table. Non, mais ça ne craignait rien pour les virus et autres bactéries, nous étions largement désinfectés de l’intérieur. Résultat des comptes, nous étions tous aptes à reprendre le volant. Comme tu le sais, depuis il n’est plus obligatoire d’avoir cet objet dans nos autos. Sans être terroriste du complot…
Alors que certains été tellement imprégnés qu’ils frôlaient la combustion spontanée, ma mère a apporté les cent-treize desserts. Si elle avait écrit la Bible, les protagonistes de la Cène auraient été obèses. Y’a qu’à voir son chien, un chichihuahua qui devrait peser deux kilos, mais qui se déplace comme un phoque, tellement il est gras. En plus, il est épileptique et éternue à l’envers. Elle aurait mieux fait de s’acheter des puces savantes. C’est à cause du cent-treizième dessert que Tante Claire a failli mourir dans l’indifférence générale. Mais quelle idée de manger des litchis ! Le litchi est aux fruits, ce que l’ornithorynque est aux animaux, une expérience qui a mal tournée. Donc Tante Claire s’étouffe et se voit mourir devant le parterre hilare des alcooliques anonymes, totalement sourd, muet et aveugle à sa détresse. Miracle, ma mère se rend compte qu’un drame se joue à côté d’elle, et d’une grande tape dans le dos lui sauve la vie. Heureusement que nous avions une soignante parmi nous… ma tante !
Cher Père Noël, si nous avions perdu Tante Claire ce jour-là, je t’en aurais terriblement voulu. Oh non, ne dis pas que je suis injuste ! Certes tu n’es pas un dieu, mais le jour de Noël ta magie est à son apogée. Tante Claire c’est la bonté incarnée, elle mériterait que ta hotte déborde de cadeaux pour elle. Alors il faut nous la laisser encore longtemps, car en rayonnant de sa bienveillance elle fait de nous des gens meilleurs.
Tout plein de câlins.
A dans pas longtemps.
Crédit photo : Du Quang Tran sur Pixabay